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Reflexions sur le crime dans l’art à partir du procès de Dominique Pélicot et des 51 autres violeurs de Gisèle Pélicot.
Depuis septembre, le procès de Dominique Pélicot et de ses 51 co-accusés reste, pour nous, un onglet ouvert. C’est à cette période qu’on ré-écoute l’épisode de Transfert 1 dans lequel Caroline Darian refait la genèse de sa vie familiale avec ce père violeur et incesteur, qui refuse toujours aujourd’hui de reconnaître avoir « touché » sa fille, malgré les photos la représentant inconsciente, demie-nue dans des sous-vêtements qui ne sont pas les siens. Ces images extrêmement violentes attestent à minima d’une soumission chimique commise sur elle.
«Son fauteuil dans lequel il aimait s’installer on ne va plus pouvoir le voir il va falloir qu’on le sorte de la baraque, enfin, le pire c’est ses tableaux parce qu’il peignait, donc on voit tous ses tableaux les uns derrière les autres et y’a comme une espèce de bas les masques. Y’avait un tableau qu’il avait peint 2 ans auparavant, qui représentait le corps d’une femme nue sur le côté donc le profil d’une femme nue, une femme nue qui dort, où on distingue les courbes … y’avait plein de couleurs qui se mélangeaient dans ce tableau (…) c’était un mélange de rouge, de orange, de jaune, quelque chose de très passionnel on va dire ça comme ça, dont je lui disais souvent que j’aimerais récupérer ce tableau un jour, et ce qui est fou, c’est que sur toutes les photographies de ma mère elle est souvent sur le côté, et dans un accès de colère au moment où on était en train de tout vider, ce tableau je l’ai pris et je l’ai fracassé sur la terrasse, sur le dos d’une chaise. Sauf qu’en voulant tuer ce tableau, et en le coupant en deux, on a découvert que sur le linteau au verso, il l’avait intitulé «l’Emprise» (…). Le problème de ces photographies c’est que je suis dans la même posture que ma mère, et surtout, je suis inconsciente. A la différence de ma mère je suis toute seule sur ces photos, on ne m’agresse pas sexuellement, en revanche le simple fait de se voir sur des clichés où l’on ne se souvient pas de ces clichés, la violence des faits par rapport à tout ce qu’on apprend depuis 24h, là ça continue d’être un cauchemar éveillé, il va se passer 10 secondes où sur la première photo je ne vais pas me reconnaître tellement la vérité est trop difficile à encaisser. Ces drames sont familiers mais je ne sais pas si c’est moi, jusqu’au moment où l’officier de police va me dire: «mais madame vous avez bien quand même une tache brune sur la joue droite, regardez c’est bien vous quand même».
caroline darian, 2023.
Dans cet épisode on apprend donc que Dominique Pélicot peignait. A l’incarcération de ce dernier, Gisèle et ses enfants ont opéré une épuration nécessaire de la maison de Mazan, berceau de l’horreur et de la domination pour citer Dorothée Dussy 2. Caroline retrouve donc le tableau d’une femme nue qui dort sur le côté, intitulé l’Emprise, rappelant étrangement les photos de Gisèle retrouvées dans l’ordinateur de son mari, la représentant souvent allongée sur le côté, « endormie » ou plutôt, dans le coma.
C’est aussi souvent dans cette position qu’elle se trouvait quand ces hommes la violaient. Non content d’en faire des photos et des vidéos, Dominique Pélicot a aussi représenté ses actes sur des toiles. Dans quel but? Représenter l’horreur, son souvenir, tel un serial killer caressant son trophée? Vivre le crime à nouveau, lentement, au rythme de la conception de la toile, puis l’accrocher, aux yeux de toustes, et éprouver cette chose inconcevable du criminel jubilant du crédule admirant sa toile, comme une manière détournée de se voir validé dans ses actes les plus horribles? « De cette horreur que j’ai commise je fais naître la beauté, donc quelque part on me valide pour ce que j’ai fait ». Il en va de même pour tous les artistes dans l’histoire, et de même ceux qui se retrouvent cités dans les témoignages que nous recevons.
Cette toile de Dominique Pélicot, qui n’est qu’un détail dans tout le récit de Caroline, et dont on a très peu entendu parler, nous a pourtant poussé à écrire. Il a réveillé chez nous des questionnements sempiternels : L’art nourrit-il le crime, ou le crime nourrit-il l’art? Vénère-t-on les artistes ou leurs productions? Pourquoi les hommes coupables de VHSS ne se sentent jamais responsables de leurs actes, a fortiori quand ce sont des artistes?
La violence pour matière
Dominique Pélicot n’était pas un artiste reconnu, ni même connu comme artiste. Peindre était un hobby. Mais ses œuvres auraient-elles été perçues différemment une fois la lumière faite sur ses actes? On sait aujourd’hui qu’il passera le reste de ses jours en prison, où peut-être il occupera son temps à peindre. Il existe d’ailleurs un marché de l’art pour les œuvres des criminels incarcérés, les murdurabiliae, dont les auteurs et les vendeurs tirent de confortables profits. La plupart du temps ce sont de vilaines croûtes, l’esthétique n’a donc rien à voir avec ce succès. Il ne s’agit que de fascination pour « l’artiste », non pour l’art ni l’œuvre. Toujours est-il que ce succès est dû à la violence de son auteur, quand le sujet de l’œuvre n’est pas l’auteur lui-même, à l’image des « toiles » de John Wayne Gacy, représentant son alter ego Pogo le Clown 3.
Drawing of a serial killer, John Wayne Gacy, circa 1980
Les artistes doivent-ils commettre des crimes (sexuels) pour alimenter leur art, ou se servent-ils de leur art pour excuser des crimes que eux ou leurs congénères commettent précisément parce qu’ils pensent en avoir le droit? Le prof de philo Richard Mèmeteau dans le magazine Antidote du 14 janvier 2019 4 semble penser qu’art et violence sont indissociables:
« Lynch a fait de la violence faite aux femmes une thématique récurrente de son cinéma. Cette violence est en lui, il l’a reconnu, il en a alimenté ses œuvres (…) Je ne pense pas que le sexe ne soit pour rien dans le fait de créer des œuvres d’art. L’art sent le cul ou n’est pas. Et la violence en fait partie».
On laisse à Richard ce biais qui le fait lier sexualité et violence, à l’origine même de l’incompréhension totale d’absolument toutes les sphères intellectuelles occidentales de ce qui est le cœur du problème : les violences sexuelles n’ont de sexuel que leur matérialisation. Il ne s’agit en réalité que de domination.
Victimisation et capitalisation
Le sentiment d’impunité ne peut être la seule explication. Nombreux sont ceux qui justifient leurs actes, une fois connus du grand public, par la victimisation en évoquant par exemple une enfance brisée ou volée. Les accusés de Mazan mettent d’ailleurs en avant leurs enfances ponctuées ou baignées de violences pour excuser les faits ou atténuer leur responsabilité.
Dans le secteur musical la victimisation via les lyrics est très employée pour demander aux fans de s’apitoyer sur le sort des artistes accusés et/condamnés, de compatir, voire de les innocenter, à l’image par exemple de feu XXXTentacion qui a tenté de justifier des violences conjugales sur sa femme enceinte en évoquant son enfance brisée 5.
Ça lui permet d’exalter et d’assumer une violence inouïe dans ses textes, pendant que l’industrie musicale peut continuer d’encaisser la moula. Tout son système de défense tient dans cette seule punchline : broken hearts break bones, so break up fast . Quelques exemples (dont un traduit) ci-dessous :
“Tu as déjà vu quelqu’un se faire couper la langue ? Tu as déjà vu quelqu’un se faire violer ? Tu as déjà vu quelqu’un tenter de tuer ta mère sous tes yeux ? Toutes les nuits, quand je vais me coucher, je me remémore ça, je me remémore comment je me sentais et je me remémore cette sensation horrible au plus profond de moi.»
“Trapped in a concept Falsely accused, misused and misled Bitch, I’m hoping you fucking rest in peace(…)
Cold shoulder, heart broken, misspoken I’m cut open, her fingers in all my stab wounds And if she could, she’d probably dance On my grave, inside my head I see your face, I fucking hate That I love you still”
Carry on, XXXTentacion, 2017
Mais le maître en la matière reste peut-être R Kelly, avec son morceau I admit, qui réussit l’exploit de se prétendre innocent en dénonçant ses crimes.
“Cancel my shows, that shit ain’t right […] Ain’t seen my kids in years, they tryna lock me up[…] Now, I admit a family member touched me/ From a child to the age 14, yeah/ While I laid asleep, took my virginity (sleep, gini’) So scared to say something, so I just put the blame on me/ Now here I am, and I’m tryin’ my best to be honest […]
Say I’m abusing these women, what the fuck that’s some absurd shit They’re brainwashed, really?/ Kidnapped, really?/Can’t eat, really?
Real talk, that shit sound silly/ And if you really, really wanna know/ Her father dropped her off at my show/And told this boy to put her on the stage […]/ I admit that this is no disrespect to the parents (no disrespect)/ But this is my advice to you ’cause I’m also a parent (parent)/ Don’t push your daughter in my face, and tell me that it’s okay […]
Now I admit that I got some girls that love me to pull they hair And I admit that they love me to talk dirty when I pull they hair Some like me to spank ’em/ Some like to give brain and What some of these girls want, is too much for the radio station Look I’m just a man y’all (man y’all)
Not a monster or beast (no, no) But I admit there are times when these girls so fine«
R. Kelly, I admit, 2017
Pour rappel, il kidnappait, séquestrait, violait, frappait des filles mineures qui devenaient littéralement ses esclaves sexuelles 6. Il a aussi épousé Aaliyah en cachette alors qu’elle n’avait que 14 ans7. Regarder les photos des deux « époux » aujourd’hui est glaçant tant la jeunesse inappropriée d’Aaliyah crève les yeux.
Mais il y avait des indices encore plus saisissants, hissant à l’immonde le silence de l’industrie musicale sur l’attitude de prédateur de R. Kelly à l’époque: d’abord, le titre de son premier album Age ain’t nothing but a number (l’âge n’est qu’un chiffre) produit bien évidemment par R. Kelly, se passe de plus de commentaires. Mais le pire reste la cover de l’album, dans laquelle chaque élément crie la détresse d’Aaliyah. Elle, en premier plan, tout en noir, presque trop “habillée” pour le soleil de L.A. Ces couches de vêtements ainsi que ses lunettes noires permettent à peine de dissimuler son jeune âge. En arrière-plan, l’image floue de son pygmalion sadique, comme une ombre toujours présente au tableau, figurant parfaitement une allégorie du contrôle. Cette image qui crie pourtant la domination, mais les destinataires y sont restés sourds.
Il n’est pas question de nier l’impact des violences sur les mineurs et leurs répercussions sur leur développement. On peut même croire sur parole R. Kelly qui dit avoir lui-même été un enfant violé. La reproductions des violences, ou le concept de “victime devenue bourreau” n’est plus à démontrer. Mais la plupart des agresseurs sont des hommes, alors que les victimes sont presque autant des filles que des garçons, comme le révèlent l’INSEE et l’INED 8. Or, les femmes deviennent très peu agresseuses. Ce système de défense n’est donc déployé que par opportunisme.
Insee, 2021.
A la différence des artistes, les accusés de Mazan n’ont pas d’œuvre à vendre, ils ne tirent donc aucune ressource financière de leur victimisation (si l’on exclue l’hypothèse probable de voir sortir des livres racontant « leur » vérité, à l’image du livre de l’avocat de Jonathann Daval et son immonde titre : Je voulais qu’elle se taise9 ). On ne peut donc demander à aucune industrie de les boycotter, et aucune industrie n’a de raisons d’étouffer l’affaire pour continuer de capitaliser. Pour autant, certaines stratégies de défense adoptées par les avocats tendent à vouloir sauver une forme de capital. Et ce capital, c’est la réputation.
Romantisme et naissance du génie
Dans le même article d’Antidote (voir note 3), Geneviève Sellier, professeure en études cinématographiques, semble elle toucher du doigt un peu plus le problème :
« On fait comme si le génie artistique avait besoin d’être au-dessus des lois pour pouvoir s’exprimer, comme si, pour créer une œuvre d’art, il fallait se comporter en ordure avec les autres êtres humains. C’est extrêmement discutable et cela pose quelques problèmes éthiques ».
Mais il faudrait aussi demander à Geneviève si le terme même de « génie » n’aurait pas été lui-même créé uniquement pour excuser lesdits comportements criminels des artistes en les canonisant, et dont les femmes et les enfants en sont la chair. Dans tous les cas, ces comportements seront excusés par le génie réel ou supposé, et la pièce ainsi produite constituera même un alibi pour l’artiste : « il a violé, MAIS il a fait un super livre », ou plus honnêtement : « il a violé DONC il a fait un super livre ». Le meilleur exemple étant les bouquins de Matzneff directement nourris de ses viols sur les petites filles qu’il stalkait à la sortie des écoles 10. Sans viols, pas de livre. C’est vrai que ce serait dommage de se priver de telles œuvres, qu’on qualifie parfois d’essentielles, dans un monde où 1 milliard d’individus ne mange pas à sa faim. Les critiques nous répondront que la transgression est la matière première de l’art. Mais il est difficile de ne pas constater que c’est la domination qui en est la matière première.
Ce concept même de déification de l’artiste qui ne s’efface pas derrière son art mais se met au centre de celui-ci vient du courant romantique au 19e siècle, qui a engendré un artiste maudit, torturé et tout puissant, nourrit à la misogynie ambiante du code civil napoléonien. Les femmes y sont représentées mourantes ou déchirées, nues ou peu vêtues, soumises aux hommes et uniquement intéressées par obtenir leur amour et leur intérêt.
Anne-Louis Girodet, Atala au tombeau, 1808, Louvre.Eugène Delacroix, Roméo et Juliette au Tombeau des Capulets, 1851, Musée Delacroix.
C’est aussi pendant ce courant que l’amalgame malheureux entre amour, possession et domination atteint son apogée. Dominique Pélicot voulait « soumettre une femme insoumise » en faisant violer Gisèle, pourtant il se disait fou d’elle. La femme sacrifiée et inerte est LA figure du romantisme11 , objet inanimé support de fantasme et de voyeurisme.
La palette choisie que Caroline Darian qualifie de « passionnée » évoquent directement l’origine allemande du romantisme, le « Sturm und Drang », qu’on traduit par « tempête et passion ». Tout ce courant littéraire et pictural a créé la sociologie des relations et nous la subissons encore aujourd’hui car elle nourrit la culture du viol. La femme incapable de consentir représente toujours le fantasme ultime. Ils sont au minimum 70 à s’y être précipités à Mazan.
Dominique Pélicot a souvent qualifié Gisèle de « sainte » et ce motif de pureté est constamment appelé dans le courant romantique. La femme n’est désirable que quand ses propres désirs et donc son consentement ou non consentement sont tus, quand le désir de l’homme peut à ce moment-là pleinement s’exprimer sans obstacles et projeter tout ce qu’il souhaite sur ce corps inanimé. La figure de la femme inconsciente représente la réisation ultime, alors que même en éveil le corps des femmes est déjà considéré comme un objet. De plus, si les actes ont eu lieu quand elle était inconsciente, elle restera donc suffisamment pure, car elle n’en aura aucun souvenir.
Leopold Burthe, Ophélia, 1852, Musée Saint-Croix de Poitierse
Cette figure de l’artiste ne s’est depuis jamais effacée, l’ego et le carriérisme des hommes étant la seule chose qui leur importe. Bien que Barthes12 et Proust 1314 aient tenté de théoriser l’effacement de l’artiste au profit de son œuvre, chose bien ironique sachant la postérité de ces deux derniers (et bien pratique pour séparer l’homme de l’artiste), la persistante figure du créateur tout puissant reste aujourd’hui la raison d’être de l’art, au point surtout que l’œuvre elle-même est secondaire. Au risque de se répéter, l’artiste et l’homme sont la même personne, et l’art est nourri de la psyché de celui-ci. Toujours dans Antidote, Geneviève Sellier15 n’oublie d’ailleurs pas de rappeler que :
« Les œuvres d’art, comme toutes les productions humaines, existent dans des contextes socio-déterminés et expriment des rapports de force dans un contexte historique donné. »
Réification de la femme
En parlant de séparer l’homme de l’artiste (de mise en pièces), impossible ici de ne pas évoquer le meurtre irrésolu de Elizabeth Short, que personne ne connaît sous ce nom mais sous celui du « Black Dahlia ». Cette video de Sonya Lwu16 résume très bien l’affaire si vous ne la connaissez pas, mais pour faire court, c’est l’histoire d’une femme précaire qu’un meurtrier a découpée en deux et a affublé d’un sourire de Glasgow.
Elizabeth short, FBI mugshot, 1943/Portrait of Elizabeth Short, LAPD, 1945
Ce cold case fascine encore toujours aujourd’hui, et surtout les artistes hommes cis. C’est ainsi que sont nés des groupes comme Chelsea Grin, dont les lyrics de Crewcabanger (meuf qui veut pecho tous les membres de ton crew), très explicites (si jamais le titre ne l’était pas assez), suffisent à souligner le problème :
“Useless waste of human flesh/ Fucking everything you see Body like an hourglass/Soul just like a succubus /I will not fall victim to your disease/ Or your hideous vagina trap/Like fucking a gangrenous wound/I want nothing to do with, you! […]/ You stupid trick, I will, end thisYou stupid trick, your life is meaningless […]/ Hit the lights/ It’s… boner time”
Chelsea grin, crewcabanger, 2008
Le groupe The Black Dahlia Murder avec le titre In hell she waits for me qui prétend s’imaginer dans la tête du meurtrier de Liz. Bien qu’à la fin du morceau, la phrase « moi le misogyne » essaie de nous rassurer, ce morceau représente 5min20 de délectation du tueur qui se rend aux funérailles de sa victime :
« An erection juts begrudgingly from twixt my silken Sunday pleats
The coffin is sealed face to go unrevealed But I dare know what lies underneath Two bloodless halves of a dark flower dead Whose dream turned the nightmare that dwells beneath our darkened beds
How pathetically I broke her like a doll of porcelain
I found her primed for a raping that could never be In wanton fallacy the temptress played Deceiving taunting charming fools like me Her silhouette an hourglass whose sands of time would empty fast(…)
Dead and famous, at last she’s made it Her mangled face haunting shameless The death of peace endarkened times Crowned, an immortal yet stricken of life The headlines read « Young Starlet: Dead! » Drained of her lifesblood and nourished with shit Sodomized, defeminized(…)
In hell is where she waits for me Seductress burns in sin The succubus deceased”
The black dahlia murder, in hell she waits for me, 2013
Citons encore le groupe Hollywood Undead avec le morceau Black Dahlia qui choisit le même angle de narration mais avec un meurtrier qui ô surprise, se victimise :
«I’ve, lost it all, fell today, it’s all the same
I’m sorry oh , I’m sorry, I’m sorry, no
And I’ve, been abused, I feel so used, because of you I’m sorry oh , I’m sorry, I’m sorry, no
I wish I could have quit you, I wish I never missed you And told you that I loved you, every time I fucked you The future that we both drew, and all the shit we’ve been through, Obsessed with the thought of you, the pain just grew and grew. How could you do this to me?»
Hollywood undead, black dahlia, 2008
Mais cet effroyable meurtre est aussi une mise en scène réelle et grandeur nature de ce que les surréalistes ont représenté jusqu’à l’overdose dans les années 20. Qui a inspiré l’autre ?17 Ce mouvement pictural et littéraire est né bien avant le meurtre de Liz Short, en 1947.
René Magritte, La Lumière des coïncidences, 1933, Dallas Museum of Art.Salavdor Dali, couverture de la revue Minotaure, 1936 / Marcel Duchamp, Prière de toucher, 1947.Man Ray, La Jumelle, 1939.
La fascination pour ce courant dont on loue la poésie et l’imaginaire « libéré de la raison » était surtout extrêmement sexiste18 , peu de femmes en ont fait partie, et la fascination qu’il a suscitée pose tout de même question :
«Bien sûr, ces derniers n’ont jamais défendu la torture, le viol ou le meurtre. Mais leur désir de s’affranchir des interdits et de laisser leurs pulsions inconscientes s’exprimer les rapproche de la pensée subversive du marquis de Sade. Leur volonté de bousculer les règles de la logique et de la perception les amène aussi à établir une confusion entre corps et objet, animé et inanimé, intérieur et extérieur. En conséquence, leurs œuvres malmènent souvent l’anatomie féminine.»19
André Breton considérait l’acte sexuel comme le moment où l’homme s’abandonne à ses pulsions les plus profondément enfouies, et, ainsi débarrassé de ses inhibitions, peut créer sans les entraves de la raison. Il nomme ce processus « écriture sexualisée »20 , et oui si vous vous demandez comment faire, il faut écrire pendant l’acte. « Viol »21 étant selon Breton et Eluard un des mots essentiels pour les surréalistes, à tel point qu’ils l’ont inscrit dans leur Dictionnaire Abrégé du Surréalisme en 1938, on n’a peu de doute sur la place du consentement pour ces grands artistes.
Sur le même modèle de mise en pièces, Otto Dix, fer de lance du mouvement de la Nouvelle Objectivité a peint des femmes démembrées sur le modèle des lostmord (meurtres sexuels, dont le but est l’humiliation, la dégradation et le contrôle de la victime), et a confié peindre des féminicides pour s’empêcher de violer et tuer des femmes.
Otto Dix, Lust Murder I, 1922, National Gallery of Art Washington DC.Otto Dix, Lustmörder, 1920, private German Collection.
C’est encore une fois la misogynie institutionnalisée qui a créé ce motif récurrent, car l’Allemagne d’entre-deux guerres, humiliée et dégradée par la défaite ne trouva pas meilleure idée que d’endiguer l’émancipation des femmes qui a eu lieu pendant que les hommes étaient partis au front. Les hommes, aux gueules cassées et aux egos blessés, se sont empressés de faire la même chose aux femmes, qui avaient pourtant fabriqués les obus qu’ils envoyaient dans la tronche de leurs ennemis.
Rudolf Schlichter, Lustmord, 1924, Los Angeles County Museum of Art.George Grosz, John, der Frauenmörder, 1918, Hambourg Kunsthalle.
Esthétisation des VSS
En matière d’esthétisation des VSS, Picasso reste le maître incontesté. Certes les violences sexuelles envers les femmes et les enfants restent un thème banalisé et esthétisé dans tous les arts occidentaux et ce depuis l’Antiquité, mais Picasso a produit 50 œuvres dont le titre est Viol et en 1937, 50 autres dont le titre est La femme qui pleure, comme s’il voulait s’assurer que l’histoire se souviendrait bien du pouvoir qu’il exerçait sur les femmes. Une de ses phrases restées à la postérité « la nature existe pour que nous puissions la violer », réussit à résumer le concept de patriarcat, mais surtout de domination hégémonique.22
Picasso, Femme qui pleure, 1937.
La musique comporte son lot de Picasso en herbe, voici un florilège proposé par nos abonnés, mais vous pouvez aussi vous reporter à cet article de Libération pour ce qui concerne la chanson française.23
Dans If I was your vampire, un Marilyn Manson de 37 ans fantasme la pedocrimininalité et l’éphébophilie. Dans l’album Eat me Drink me, inspiré par Lolita de Nabokov, il tient le rôle de Humbert, et Evan Rachel Wood de Lolita (âgée à l’époque de 18 ans). Des années plus tard, le récit des sévices subis que nous livrent Wood et les autres victimes de l’artiste est insoutenable à lire.
« Digging your smile apart with my spade tongue And the hole is where the heart is(…)
Blood-stained sheets In the shape of your heart This is where it starts, this is where it will end Here comes the moon again«
if i was your vampire, marilyn manson, 2007
Evan Rachel Wood dans le clip Heart Shaped Glasses de Marilyn Manson/Couverture d’une réédition de Lolita inspirée de l’affiche du film Lolita de Stanley Kubrick.
Ronnie Radke, chanteur multicondamné du groupe Falling in Reverse ne cache pas son fantasme de féminicide dans Pick Up The Phone :
I truly believe that the reason I’m here Is to tell you the truth that your ending is near (…) And because of the fact that enough is enough Now I’m the one that is holding the gun!(…)
Pick yourself up Up off the floor
Wipe the tears from off your face Because the cops are knocking on the door They’re gonna wanna know what’s up! Better tell them that you fell Cause when they see the bruises on my face They’re probably taking both of us to jail
I’m sick and tired of fighting each other The lying, the crying, the calling your mother The calling of names, I’m bothered and smothered We kiss and make up, get under the covers A dangerous cycle I don’t understand The kicking and screaming, the breaking of limbs I’ll be damned if I see you with some other man If I cannot have you, then nobody can
pick up the phone, falling in reverse, 2011
Surprise, les deux raclures sont copains.
La France a vu naître le martyr des violences conjugales, en la personne de Bertrand Cantat. Dès 1989, c’est déjà un sujet pour lui dans le morceau les Ecorchés, sous couvert bien entendu de passion amoureuse :
Oh mais non rien de grave/Y’a nos hématomes crochus qui nous sauvent/Et tous nos points communs dans les dents Et nos lambeaux de peau Qu’on retrouve ça et là Dans tous les coins Ne cesse pas de trembler C’est comme ça que je te reconnais Même s’il vaut beaucoup mieux pour toi Que tu trembles un peu moins que moi
les ecorchés, noir desir, 1989
On peut aussi noter la tristement prémonitoire Sweet Mary, qui de plus évoque ces toiles romantiques de femmes éthérées, dépressives et sur le point de mourir :
Paul Delaroche, La Jeune Martyre, 1853, Musée du Louvre.
She’s always smiling/ On her golden bed Lying under ghosts and calls/ You can’t always sleep mary Sweet mary
She always turns off/ If you call her name Back to a wasted ocean/ You can’t always sleep mary Sweet mary
They’re waiting for you They’re waiting for you Ghosts are waiting for you
noir désir, sweet mary, 1989.
La nouvelle generation de rock français a d’ailleurs bien appris sa leçon du frontman de Noir Désir, comme en témoignent les textes du groupe My Own Private Alaska, dont le chanteur s’est rendu coupable de harcèlement sexuel.24 On constate à multiples reprises ce motif de violences conjugales légitimées par les agissements supposés d’une compagne dépeinte avec florilège de termes misogynes, enrobé encore et toujours d’esthétique romantique.
I just earned about your crimes/ And just wanted to die/Not even to kill you / Not yet/ I just wanted to die/ And you were laughing(…)
Then I wanted to kill/ I wanted to kill you/ I wanted to kill them/ I wanted to kill the earth/ (And after to kill me) (…)
I got the picture of you naked/ I got the picture of you sucking cocks/ I got the picture of you with all these bastards (…)
So now thank you, bitch/ Thank you so much bastards/ All the cum you sent on her face/ Was the fuel I need to reach Anchorage
my own private alaska, anchorage, 2010
I would have killed/ Everyone one our road/ We will be quiet/ We will be all alone/ Don’t cut your strings/ It’s for your own good, you know/ Outside the world/ Is not a place for you
But don’t ask me where I got this blood…/ But don’t ask me where I found this knife/ Don’t be afraid/ It’s me my love/ You think I changed/ But God is ours above/ I will tie you on our bed/ I will tie you on our floor/ I will tie you on our walls/ I will tie you on our grave
So we’ll be together isolated/ So you’ll learn the word: isolate
My own private alaska, just like you and i, 2010
Dans un registre musical similaire, le groupe lyonnais de post black metal Celeste a bâti toute sa direction artistique sur des visuels de très jeunes femmes et d’enfants en souffrance ou endormis, en vêtements blancs et vaporeux tels les sous-vêtements portés à la fin du 19eme siècle.
Leur clip Le cœur noir charbon25, insoutenable récit d’un viol conjugal, était même diffusé en backdrop lors de leurs concerts, sans aucun TW, et beaucoup de personnes très certainement victimes de VSS quittaient d’ailleurs la salle pour échapper à ce supplice
Témoignages reçus en DM instagram.
Les paroles ne sont bien sûr pas en reste:
Ils s’embrassent /S’enlacent/ S’agacent / Se caressent/ Ils se battent / Se frappent /S’abattent/ Il la dégoûtesa déesse (…) Mais elle se dit / Abattue /Que s’il faut mourir / D’amour autant Se renier / S’éteindre /S’abandonner/ Oublier/ Et épouser sa haine
celeste, des torrents de coups, 2021
La réponse de ces groupes quand on les confronte est justement de vouloir dénoncer ces violences. Mais cette orgie de violence esthétisée à tous les niveaux sensitifs disponibles ne saurait se justifier par le militantisme. C’est depuis 20 ans leur quasi seul sujet, à ce niveau d’obsession on atteint la fétichisation. Qu’on ne nous réponde pas la catharsis, le nihilisme ou autre mots prétentieux vidés de leur sens quand on est un groupe d’hommes cis globalement blancs et privilégiés. D’autre part, on ne les voit pas beaucoup s’engager politiquement contre les VSS quand l’actualité de leur milieu musical le nécessite. Leur orgie de violence nous dégoûte autant qu’elle les excite. Capitaliser sur la souffrance des autres est un mojo qui rapporte apparemment. Toutes ces œuvres contemporaines perpétuent le mythe selon lequel les artistes ont besoin de sang et de larmes pour créer. Les femmes qui souffrent inspirent beaucoup les hommes. Les femmes heureuses, beaucoup moins, bizarrement.
Psychopathologie et création
Nous avons trouvé peu de ressources, le temps qui nous avions à consacrer à ce thread, consacrées spécifiquement au rôle de l’art dans le crime. Mis à part le cas du Caravage, pour lequel on peut attester des crimes et dont on entrevoit la violence et l’obsession pour les décapitations dans sa peinture26, il est difficile d’établir un lien psychopathologique, neurologique entre la création et le crime.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, Giuditta e Oloferne, 1598, Galerie Nationale de Rome.Michelangelo Merisi da Caravaggio, Salomè con la testa del Battista, 1607, National Gallery Londres.Michelangelo Merisi da Caravaggio, Davide con la testa di Golia, 1609, Gallerie Borghèse Rome.Michelangelo Merisi da Caravaggio, Medusa, 1597, collection privée.
A la question que nous nous posions, à savoir si la création d’une œuvre se nourrit de fantasmes ou de passages à l’actes, la conclusion est que ça n’a aucune importance. La psychanalyse qui essaie de nous vendre la libération de la frustration par l’art ne saurait être une réponse intéressante car la réelle question se situe dans la naissance même du désir de domination.
Les hommes occidentaux ne s’offusquent pas de cet étalage de violence dans l’art. Au contraire, ils y voient l’expression même du génie, vont même jusqu’à user jusqu’à la corde la théorie freudienne de la sublimation pour justifier que passer à l’acte dans son art permet de rester une personne socialement acceptable et canaliser cette so called pulsion sexuelle destructrice qui les habiterait.
Dominique Pélicot a peint ce tableau 2 ans avant son arrestation, ce qui suggère plutôt l’envie ou le besoin de revivre les soumissions qu’il imposait à sa femme, d’une manière plus perverse que de juste regarder ses innombrables vidéos. Car il pouvait afficher cette toile à la vue de tous. On rappelle d’ailleurs qu’il a été arrêté pour avoir filmer sous les jupes des femmes dans un magasin. Brian « Manson » Warner s’est rendu coupable de la même chose sur, a minima, la personne de Ellie Rowsell, chanteuse de Wolf Alice.
A la question Dominique Pélicot aurait-il eu le droit à des titres de presse tels que La chute d’un génie s’il avait été reconnu pour son art, nous avons trouvé un début de réponse du milieu intellectuel dans la préface de De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts de Thomas de Quincey27 .
Dans sa préface, Bernard Quiriny, docteur en droit et écrivain primé, y rappelle que les personnes petites et stupides comme nous font fausse route. Qu’ « au lieu de voir l’art dans le crime, ils traquent le crime dans l’art ». Nous serions incapables de voir la « seconde anse » du chaque crime, nous n’en verrions que la première, ce qui nous empêcherait de voir la beauté et le génie dans sa forme la plus pure, aveuglés par nos velléités de moralisation de l’art tel un Croisé en Terre Sainte :
«Les résultats sont grotesques (…) et comme le montrent encore aujourd’hui des hordes d’imbéciles, de fanatiques et de wokistes_ les mêmes individus sont souvent les trois_, dont les jappements outragés et les protestations de vertu donnent envie de considérer la bigoterie comme un des beaux-arts.»
Tu te trompes Bernard. Tu oublies que la plupart des artistes passent à l’acte. Tu oublies que ces « génies » usent de leur notoriété pour s’assurer qu’ils inspireront encore des générations d’hommes pour perpétrer la domination et l’oppression sur leurs prochain jusqu’à la fin des temps. C’est nous tromper sur leur but ultime : ce n’est pas de libérer leurs pulsions sur toile, papier, micro ou camera pour ne pas les libérer sur autrui ; c’est faire passer à la postérité les désirs de destruction qu’ils ont assouvis dans la vraie vie et servir d’héritage aux générations suivantes. C’est un programme politique à long terme. Ça a le double avantage de pouvoir légitimer leurs actes au nom de l’art en écoutant des millions de personnes scander/louer leurs textes brillants ou acheter leur toile plusieurs millions d’euros, et même de jouir en ayant paré à la fugacité du fait, en le gravant dans le marbre de l’histoire des arts. Considérant la hausse des ventes des œuvres des artistes criminels après leurs mises en examen ou leurs condamnations, le soutient des fans anciens ou acquis ne peut plus se cacher de sa véritable motivation : la fascination pour les ordures.28
Grâce à la réécoute des excellents podcasts Venus s’épilait-elle la chatte ? de Julie Beauzac, colonne vertébrale de ce thread, nous n’avons pas trouvé meilleure conclusion que cet extrait du Génie Lesbien d’Alice Coffin que Julie cite dans un des épisodes linkés plus haut. On aurait pu se contenter de la citer d’ailleurs, mais que voulez-vous, on aime bien réfléchir. Pas déso pour la tartine.
«Là où ils voient des œuvres, je perçois l’ampleur de la domination masculine. L’art est un autre nom de la masculinité, son puissant instrument de propagation, comme le langage de nos institutions, mais avec cette particularité que les artistes font preuve de bien plus de condescendance que les chefs d’entreprise lorsque l’on dénonce leur vision sexiste. La compétence technique, le talent artistique ou la performance physique sont des standards fabriqués par les hommes, pour les hommes. Ils ont fixé des normes à leur mesure et s’enorgueillissent ensuite d’être les seuls à y correspondre. Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont créé l’art, le récit pour se raconter, l’un à l’autre, des histoires de viols.»
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