Balance Ta Scène respecte l’anonymat des victimes ainsi que de tous les protagonistes en rapport avec chaque témoignage reçu. Veuillez consulter LA CHARTE avant de nous contacter. Si vous êtes victime ou témoin, contactez-nous via notre formulaire anonyme (lien dans la catégorie CONTACT). ON VOUS CROÎT, VOUS N’ÊTES PAS SEUL·E·S.
Balance Ta Scène respecte l’anonymat des victimes ainsi que de tous les protagonistes en rapport avec chaque témoignage reçu. Veuillez consulter LA CHARTE avant de nous contacter. Si vous êtes victime ou témoin, contactez-nous via notre formulaire anonyme (lien dans la catégorie CONTACT). ON VOUS CROÎT, VOUS N’ÊTES PAS SEUL·E·S.
En Janvier de cette année, nous avons été invité·e·s à participer à la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale contre les violences dans le secteur de la culture1. Nous y avons partagé nos expériences, nos données statistiques et nos recommandations. Nôtre audition s’étant déroulée à huis clos pour préserver l’anonymat de nos représentant·e·s, nous souhaitons résumer notre discours à travers une publication. Ce qui devait être un simple résumé s’est finalement mué en une véritable auto-analyse et en une enquête approfondie, nourrie par de nouvelles informations reçues entre-temps.
Dans le cadre de cette commission d’enquête, nous avons visionné plusieurs auditions publiques avant de choisir de nous concentrer sur la prévention et la réduction des risques dans les milieux festifs. Une thématique qui, à condition d’être prise au sérieux et non détournée par celles et ceux qui y voient une opportunité de profit, pourrait rendre notre collectif obsolète – et ce serait une victoire. Nous savons aussi que certains collectifs et associations de prévention ont pour objectif de disparaître à terme : leur mission étant de transmettre leur savoir efficacement, de faire en sorte que la lutte soit prise au sérieux et que les structures s’auto-régulent2.
Malheureusement, ce n’est qu’un vœu pieu qui souffre du paradoxe des Restos du Cœur : cette autonomie restera illusoire tant que de véritables politiques publiques ne seront pas mises en place. Le milieu culturel festif ne pourra réellement progresser sur ces enjeux que s’il les intègre à chaque niveau et à chaque étape de ses activités, plutôt que de se contenter d’en afficher les intentions – comme c’est encore trop souvent le cas aujourd’hui. Ces enjeux touchant les populations les plus discriminées de la société, en quoi est-ce surprenant qu’un grand festival, comme une entreprise ou encore l’État, ait tout intérêt à maintenir ces publics sous domination ?
Cette commission d’enquête aboutira à un rapport en avril. En attendant, sociologues, collectifs, journalistes et des comptes comme le nôtre tentent de mettre en lumière ces enjeux.
En Octobre 2024, le magazine Basta Mag publie un article 3 basé sur les conclusions d’un rapport de deux sociologues sur les VSS en milieu festif 4. Si nous saluons bien sûr l’initiative, tant de l’enquête que de l’article, sa lecture met en lumière les zones d’ombre et les impensés que nous dénonçons – et que nous avons exposés devant l’Assemblée Nationale lors de notre audition.
Le problème des enquêtes centrées uniquement sur les femmes, même lorsqu’elles incluent toutes les minorités de genre, est qu’elles reflètent avant tout la réalité des lieux festifs mainstream, majoritairement fréquentés par des femmes cis blanches. Ce sont donc elles qui sont ciblées et citées. Le choix des mots et la faible prise en compte de l’intersectionnalité dans les discours et les enquêtes aboutissent ainsi à un chapeau d’article rédigé ainsi :
Voir note 3
Rappel : il n’y a pas de féminisme sans lutte contre toutes les discriminations et sans prise en compte de toutes les personnes minorisées ou marginalisées. Voici donc la phrase que nous aurions écrite :
« Dans les concerts, seuls les hommes blancs cisgenres, hétérosexuels et valides profitent de la fête. »
La réalité est là. Nous savons que la plupart des structures de prévention et de réduction des risques s’efforcent de combler certaines lacunes en se formant aux biais racistes et validistes, afin d’intersectionnaliser leurs protocoles et d’être en mesure d’accueillir de manière qualitative les victimes d’agressions sur plusieurs niveaux.
En tant que personnes sexisées, handicapées et/ou racisées, nous connaissons bien les conséquences d’une mauvaise compréhension des dynamiques de domination auxquelles nous sommes confronté·es. La magasine l’évoque fort justement dans son paragraphe sur l”hypervigilance:
Voir note 3
Il persiste toutefois un angle mort à propos de l’hypervigilance : les personnes handicapées et racisées sont quasi absentes de ces lieux, car la société elle-même et sa dynamique de domination sont reflétées lors de ces événements. Bien qu’elle soit évidemment misogyne, elle reste avant tout profondément raciste et validiste. Pour ces personnes, la question des vêtements ou du maquillage ne se pose pas, parce qu’on reste chez soi. Beaucoup plus simple.
La convocation du « safe »
Ce mot a été vidé de sa substance, tant il est invoqué et appliqué à tort et à travers. Aucune structure de prévention digne de ce nom n’utilisera ce terme pour qualifier son activité ou son client (l’organisateur de l’événement), sauf pour désigner les dispositifs de « safe space » qui se veulent refuges ou sanctuaires. Et encore, le 100% safe n’est évidemment pas garanti, mais un espace restreint et décentré permet un meilleur encadrement des allées et venues, ainsi qu’une protection et prise en charge plus efficaces des victimes.
Voir note 3
De plus, les espaces sûrs mis en place dans les festivals ne mettent en avant que les VHSS, mais nous souhaiterions que la communication englobe également les discriminations homophobes, transphobes, racistes et validistes, afin de ne pas hiérarchiser les combats. Cela soulève la question des espaces mixtes en situation de vulnérabilité, et certains questionnements en découlent, comme la peur des femmes cisgenres vis-à-vis des personnes transgenres, ou le racisme des personnes blanches. Mais c’est surtout l’occasion de se poser une vraie question de société et d’adresser nos propres biais. Cela représente une chance réelle de travailler sur l’intersectionnalité et la convergence des luttes, de déconstruire l’idée même que les oppressions ne sont issues que de la domination patriarcale – et donc que les femmes ne peuvent pas être des agresseuses – car il existe d’autres formes de domination.
Si le personnel de ces « safe spaces » est correctement formé, leurs bénévoles seront bien encadrés sur les luttes intersectionnelles, et tout conflit basé sur la méconnaissance de l’autre pourra être évité. Nous prenons souvent comme référence ce qu’a théorisé Angela Davis dans « Femmes, Race et Classe » 5, qui montre très clairement que les avancées sociales sont plus significatives lorsque les luttes ne sont pas opposées. Pour nous, ces « safe spaces » devraient s’inspirer de ces principes, mais il faut pour cela checker ses privilèges.
“S’il est vrai, comme dit Marx, que “le travailleur à la peau blanche ne sera jamais libre tant que le travailleur à la peau noire sera marqué au fer” […], il était tout aussi vrai que les luttes démocratiques de l’époque – en particulier le combat des femmes pour l’égalité – pouvaient seulement aboutir dans l’alliance avec la lutte pour la libération du peuple noir.”
Les événements et lieux en non-mixité: unpopular opinion.
Nous comprenons l’utilisation d’espaces en non-mixité, mais ce dispositif n’est pas applicable à toutes les situations, notamment dans le cadre d’un festival ou d’un événement festif, et engendre des situations potentiellement complexes, voire violentes et absurdes. Qui va vérifier qu’une femme ou un homme transgenre l’est vraiment dans une soirée dite « réservée aux femmes » ? Et quid des personnes non-binaires et intersexes ?
Toutes les identités de genre opprimées doivent être incluses dans ces espaces de non-mixité. Leur exclusion contribue à les stigmatiser et à les ostraciser encore davantage. Cela les essentialise également, car le passing doit inévitablement se situer du côté féminin du spectre pour participer à une « girls’ night ». Les événements doivent également être exemplaires sur la mixité au sein de ces minorités (accès PMR, tarifs accessibles pour favoriser la mixité sociale, etc.) 6 et 7
“Autre constat: les bénévoles sont autant concernées que les festivalières”
Nous constatons également deux « tabous » ou impensés dans les réflexions sur le sujet, que l’enquête mentionne en partie : les agressions commises par et envers des artistes programmés, ainsi que les agressions et menaces visant le personnel de prévention et de réduction des risques, sans oublier les lanceur·ses d’alertes. Exemple avec ces photos prises par nos abonné·es· lors du Motocultor 2024:
L’impensé est un impensable, mais c’est surtout un secret de polichinelle : les agresseur·euses sont aussi très souvent des artistes, et il est d’autant plus difficile pour un festival ou une salle de reconnaître qu’il a programmé un·e agresseur·euse. Et bien que très minoritaires, les agresseurs sont aussi des femmes ou minorités de genre. Pourtant, beaucoup de choses sont sues, et ce n’est pas faute d’avoir essayé de vous avertir.
Lors de notre audition, Mme Sandrine Rousseau a demandé si ces artistes étaient toujours dans le métier après la révélation de leurs actes : nous constatons qu’iels restent généralement dans le milieu, que ce soit sous les projecteurs ou en coulisses. Leur exclusion n’intervient que lorsqu’un grand média s’empare du sujet. C’est pour cela que nous travaillons étroitement avec la presse.
“L’artiste d’un groupe a confié à Liberation son passage traumatisant au Motocultor en 2023, après avoir été droguée à son insu dans l’espace VIP, normalement réservé aux artistes et à la presse. En milieu de soirée, vingt minutes après un verre offert, Mélodie a eu un black-out. Quand son groupe la rejoint une heure plus tard, des hommes lui tournent autour. « Je ne suis absolument pas tactile, rapporte-t-elle. J’ai horreur qu’on me touche, ne serait-ce que les épaules par des gens que je connais. Et là des inconnus faisaient ce qu’ils voulaient de moi et je n’avais aucune réaction. » Ses amis s’interposent. « Les autres répondent que je ne disais rien, donc que j’étais d’accord et que je kiffais. Je n’ai pas demandé plus de détails, ça me dégoûtait. » Le lendemain, elle se lève « flottante » mais sans gueule de bois, assure sa performance sur scène en autopilote. Mélodie a mis une semaine à reconstituer le puzzle, entre culpabilité d’avoir bu une veille de concert et angoisse d’envisager avoir été droguée. L’évidence arrive avec d’autres témoignages concordants : plusieurs bénévoles rapportent des tentatives de soumission chimique, y compris au sein de leur camping. Des mois plus tard, au moment de remonter sur scène, elle éclate en sanglots. « Cette soirée a modifié́ mon rapport à la fête, à l’alcool, aux concerts et à la musique. » 8
Ces articles, bien que documentés et sourcés, mettent en lumière les actes commis par certaines idoles, certains festivals choisissent de « ne pas se substituer à la justice » ou de « ne pas les juger une seconde fois », en laissant ces artistes entacher leurs programmations. Pour ces acteurs du milieu musical, un non-lieu ou un classement sans suite équivaut à une déclaration d’innocence.
C’est ainsi que l’on retrouve Ibrahim Maalouf en tant que parrain d’un concours de chorale lycéenne 9, ou Till Lindemann, leader de Rammstein, à l’affiche du Hellfest 2025 10.
Le bénéfice du doute, ou la présomption d’innocence, leur profite systématiquement, alors qu’il serait plus logique de les écarter afin de protéger le public, les autres artistes et les équipes techniques ou bénévoles. C’est aussi cela, la PRÉVENTION. Le doute devrait avant tout profiter aux potentielles victimes, qui, elles, risquent bien plus que de s’éloigner de leur réseau.
“La sensibilisation devient la norme”
Certes. Mais tout autant que la posture et les dérives qui l’accompagnent. Cette norme entraîne ce que toute société libérale produit : la capitalisation sur les luttes par des personnes peu scrupuleuses. Favoriser les structures de formation associatives à but non lucratif serait déjà une solution, même si cette forme juridique n’empêche pas les personnes à leur tête de faire preuve d’abus et de détournements de fonds.
Mais selon nous, l’enrichissement dans ce domaine devrait être proscrit. Le prix élevé des formations incite des acteur·ice·s de la musique à créer leurs propres structures de prévention/formation, ce qui engendre des conflits d’intérêts et du pink/purplewashing, car celleux qui montent ces structures sont ou ont été dans l’administration de la musique ou musicien.nes eux-mêmes. Iels se protègent dans un système en vase clos, se délivrant des certificats de moralité via ces formations et labels.
Si nous ne stigmatisons évidemment pas toute la profession, nous sommes aujourd’hui conscient·e·s du cynisme dont font preuve certain·e·s acteur·ice·s de la musique face aux violences systémiques qui se déroulent dans leurs sphères. Concernant l’obligation pour les acteur·ice·s culturels de suivre des formations, nous avons pléthore d’exemples montrant que ces formations et labels ne servent souvent que de posture, les organisations n’ayant bien souvent aucune intention de changer le milieu et les pratiques discriminatoires qui y sont ancrées. Un suivi à long terme des structures ayant suivi ces formations, mené par des organismes indépendants voire « concurrents », semble indispensable pour évaluer les réels changements opérés.
De même, la condition d’avoir suivi une formation pour obtenir des subventions du CNM reste peu dissuasive si aucun suivi ni sanction de non-octroi ne sont appliqués. Nous croyons également au “name and shame” : la réputation étant cruciale pour l’économie de ces structures, dénoncer publiquement leurs comportements nous semble un moyen de pression efficace. L’opinion publique est puissante, et le boycott se révèle être un outil redoutable.
Le serpent se mord la queue : il faut justifier d’une formation et d’un protocole pour accéder à ces subventions, mais les associations et structures sont précarisées par la réduction de leurs budgets. C’est une véritable politique publique sociale et sanitaire qu’il faut déployer à grande échelle. Les structures sérieuses doivent évidemment être correctement rémunérées, mais certains acteurs festifs n’ont tout simplement pas les moyens de payer une formation de qualité ni même un stand de prévention géré principalement par des professionnel·les qualifié·e·s. Pire : certains gros festivals préfèrent payer un kiné disponible dans les loges pour les artistes plutôt que d’investir dans une politique de prévention digne de ce nom 11. Que l’argent manque ou non, force est de constater que ce n’est pas le problème majeur. Le vrai nerf de la guerre, c’est d’avoir réellement à cœur de protéger son public, ses équipes et ses artistes, et de croire sincèrement en l’utilité et la légitimité de ces démarches.
Oui, la représentativité, et donc l’identification, est importante. C’est aussi par ce biais que l’on crée de la diversité. Mais ça n’a que peu d’utilité si ce n’est pas accompagné d’un discours politique, et si toutes les minorités ne sont pas représentées. Nous pensons qu’il faudrait aller plus loin et embaucher/ programmer plus de minorités en général, et qu’il serait essentiel de « militer » également pour cela.
Cependant, avant de permettre à des structures de se servir de leur programmation comme caution pour faire bonne figure (le fameux “token”), il faudrait qu’elles cessent de programmer des agresseur·euse·s et des racistes, qu’iels soient présumé·es ou avéré·es. Parce que ça envoie un message d’impunité au public, et c’est un vrai danger, notamment lorsque les accusations touchent aussi les fans en position de vulnérabilité par rapport aux artistes. Les témoignages ci-dessous, concernant un groupe toulousain aujourd’hui dissout, illustrent parfaitement notre propos :
“On est beaucoup à avoir rejoint le forum du groupe aux alentours de 2003 / 2006. C’était super cool de trouver cette communauté, parce que pour beaucoup d’entre nous, on avait du mal à s’intégrer un peu partout, sauf à cet endroit où tout semblait ouvert, fluide, libre et hors norme. On est également beaucoup à avoir énormément bougé partout en France, en Belgique, en Suisse – toujours en compagnie d’autres fans – pour assister aux concerts du groupe. Et comme à chaque fois qu’il y avait un concert, il y avait les afters. Ce n’est un secret pour personne que le groupe affichait une devise s3x, drÙgs et rock’n’roll et chaque after en backstage ou à l’hôtel était un cliché du genre. En soi, pourquoi pas, c’est aussi ça qui rendait le tout attrayant. Dans leurs paroles, ils abordaient les questions de genre, le féminisme, la sexualité hors hétéronormativité, le BDSM, on aimait ce discours et cette diversité. Grâce à cette communauté on a découvert Virginie Despentes, Ovidie, Wendy Delorme… Et pourtant… Pourtant, il n’y avait pas un soir où il n’y avait pas un élément dérangeant. Des filles trop alcoolisées ou dr0guées pour donner leur consentement, des filles mineures ou tout juste majeures chassées comme des proies par V., une pression savamment dosée de V. pour que les témoins restent silencieux et ne répètent pas ses multiples infidélités à ses compagnes. De plus, les autres groupes amis/proches de celui-ci avaient les mêmes comportements problématiques. Pressions s3xuelles et psychologiques, harcèlements, agressions, tout cela merveilleusement ignoré ou passé sous silence parce que « l’alcool, la dr0gue, c’est l’ordre des choses du rock’n’roll ». Nous étions pour la plupart soit mineur·es, soit naïf·ves, soit tellement confus·es quant à ce qui était ok ou non qu’il était compliqué de savoir comment réagir à l’époque.” 12
Concernant les techniciennes et bénévoles, il est primordial de ne plus engager celleux qui posent problème, un constat que l’on retrouve régulièrement dans nos témoignages.
« Lors de son second bénévolat à l’Xtreme Fest en 2017, Léa (prénom changé) est vi*lée par un collègue le dernier soir du festival. Soutenue par sa hiérarchie, elle a pu porter plainte le lendemain et l’agresseur a été blacklisté. Mais en 2018, la jeune femme se retrouve face à lui au Motocultor, il est même responsable bénévole. «J’en ai parlé autour de moi et deux autres filles m’ont dit qu’elles avaient vécu la même chose avec lui. On l’a confronté, je lui ai dit que je ne lui pardonnerai jamais, devant des témoins, affirme-t-elle. Puis j’ai obtenu le numéro du directeur du festival et je lui ai expliqué la situation.» De retour au Motocultor en 2019, Léa découvre, dépitée, qu’il est toujours là, simplement rétrogradé. La jeune femme s’en est ouverte publiquement dans un podcast qui chronique le sexisme dans le milieu des musiques extrêmes. Interpelé sur les réseaux sociaux, le festival a présenté́ ses excuses, deux ans plus tard. « Là où la production aurait dû agir, elle a fait l’erreur de ne pas prendre les mesures qui s’imposaient, reconnaissent alors ses dirigeants. Il est évident que ce bénévole n’a pas sa place au sein de notre organisation.» Le festival annonce qu’il fera «ce qui est en son pouvoir pour écouter et prendre en considération les victimes», à l’avenir. » 13
Ces exemples nous donnent parfaitement raison, et ils sont deux gouttes d’eau dans l’océan de témoignages que nous recevons chaque année. De ces nombreux récits, nous tirons la conclusion suivante : aucun contrôle/vérification ne sont effectuées pour vérifier la programmation, les équipes, et même le structure s’occupe de la prévention et de la RdR. On engage ses potes, ou la première structure venue pas trop chère voire gratuite. Ne serait-il pas plus judicieux pour les festivals et autres organisations d’évènements festifs de commencer à s’intéresser à des artistes qui ne sont pas problématiques, et de faire appel à des structures associatives réellement qualifiées, autorisées à organiser des formations mais aussi sans intérêt à capitaliser sur les luttes, ni relationnel avec les acteuri.ice.s de l’industrie musicale ? La question n’est pas que rhétorique. S’ils prennent le risque de s’en foutre, c’est qu’ils ne risquent pas grand-chose.
Par contre, ne vous méprenez pas. A AUCUN MOMENT nous ne souhaitons induire chez les artistes, technicien.ne.s ou public minorisé.e.s une panique quelle qu’elle soit. Simplement, énoncer ces faits nous semble essentiel pour savoir comment se protéger, se défendre, et demander des comptes aux acteurices de la musique. Ce sont elleux qui doivent vous protéger et faire de leurs évènements des espaces les plus égalitaires et respectueux de vos identités possibles, et c’est à eux que vous donnez votre argent. Vous êtes en droit d’exiger une éthique et surtout qu’elle soit respectée. 14
Balance Ta Scène respecte l’anonymat des victimes ainsi que de tous les protagonistes en rapport avec chaque témoignage reçu. Veuillez consulter LA CHARTE avant de nous contacter. Si vous êtes victime ou témoin, contactez-nous via notre formulaire anonyme (lien dans la catégorie CONTACT). ON VOUS CROÎT, VOUS N’ÊTES PAS SEUL·E·S.
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OU L’HYPERSEXUALISATION ET L’ANIMALISATION DES FEMMES NOIRES PAR L’IMAGINAIRE POST-COLONIAL DE LA BOURGEOISIE CULTURELLE
Du 25 au 27 octobre 2024, le festival Hellfest prêtera sa Gardienne des Ténèbres à la ville de Toulouse pour une déambulation mélangeant mentions bibliques, ésotérisme manga, régionalisme et mythologies gréco-romaine. Pour l’occasion, la gardienne s’est vue gratifiée d’un prénom : Lilith.
Avant le 27 septembre 2024, on ne trouvait aucune occurrence associant la Gardienne à un prénom. Il est donc bien commode pour son inauguration au grand public et non plus pour les seuls yeux des festivaliers du Hellfest de la baptiser et de lui donner l’onction féministe qui accompagne ce patronyme.1 Cette mention à la femme déchue d’Adam, succube qui accouchait de 100 démons par jour, n’est même pas le fait le plus opportuniste concernant cette chimère. On commence par une mention de son concepteur, François Delarozière :
« Pour dessiner la Gardienne des Ténèbres, j’étudie les histoires et les mythes en lien avec l’enfer et les ténèbres. Je m’intéresse aux représentations de l’au-delà et aux symboles qui l’accompagnent. Le bouc, le corbeau, la couleur noire, le feu, le scorpion, le squelette, l’histoire de Lilith, les représentation de l’Hydre de Lerne et d’Hadès, inspirent mes premières esquisses. De ces dessin intuitifs naît la Gardienne de Ténèbres, une femme-scorpion. Sapeau métissée est tatouée de signes ésotériques. Elle maîtrise le feu et l’eau, qu’elle crache depuis sa bouche ou son dard. »2
Le choix/traitement du bois foncé n’est pas innocent, tout comme les « cornrows » (tresses plaquées) et les créoles : les sœurs Kardashian-Jenner ainsi que Miley Cyrus avaient outré l’internet mondial en 2015 avec leurs « prothèses raciales ». Des militant.e.s ont sillonné les sentiers accidentés des réseaux sociaux pour éduquer au concept d’appropriation culturelle, 10 ans plus tard il semble n’en rester rien.
« « Je veux de l’urbain. Je veux quelque chose qui sonne noir » Miley Cyrus. Dans l’espace de la culture marchande, l’ethnicité constitue l’épice, l’assaisonnement qui relève le repas fade que nous sert la culture blanche mainstream « . Bell Hooks3
Elle porte également des scarifications péri-orales déprimées, qui évoquent là encore un mélange de traditions Peul et de tatouages traditionnels amazoniens. Sur ses bras et sur son torse, on peut voir un copié-collé des scarifications chéloïdes d’Afrique équatoriale.
Lilith est bien évidemment sexualisée et fétichisée. Il était apparemment necessaire à son pygmalion de la sculpter topless. On se serait bien passé de l’image mentale gênante du créateur engendrant sa Galatée de bois et de métal.4
« Au départ, c’était davantage un mélange d’animaux dont les cornes de bélier qui représentent la mort, autant que le venin du scorpion. Puis j’ai quand même voulu qu’elle prenne forme humain. [d’où le buste de femme] Je voulais qu’elle soit aussi séductrice que dangereuse ». François Delarozière
Il était pourtant bien parti. Voilà à quoi elle devait ressembler au départ :
On pourrait admettre le retournement de stigmate si Delarozière et Ben Barbaud, fondateur du Hellfest, étaient un minimum concernés. Etant blancs et privilégiés, serait-ce donc à la mégalomanie qu’il faudrait attribuer le sentiment de légitimité à représenter une femme noire et nue comme « attraction » sans y voir le moindre problème ? Dans tous les cas, les syncrétismes les plus attendus chez des Occidentaux ont bien su les réunir.
« Ma rencontre avec Ben Barbaud, initiée par Johanna Rolland, la maire de Nantes, qui souhaite rapprocher la ville de Clisson du Hellfest, festival situé à 40 minutes de la métropole, nous donne envie de travailler ensemble. Nous programmons le lancement de ce nouveau projet. » François Delarozières [2]
On pourrait encore comprendre ce siphonnage culturel si le Hellfest ou la compagnie La Machine se montraient particulièrement prompts à dénoncer ces discriminations à travers les nombreuses opportunités médiatiques dont ils sont gratifiés. Mais vu le peu de considération que le Hellfest a montré à la fois pour les personnes sexisées en programmant des violeurs5 et pour les personnes racisées en invitant des racistes6 , la question elle est vite répondue. En l’état actuel des choses, la Gardienne est la seule « femme » racisée en sécurité dans ces espaces. C’est peut-être parce qu’elle crache du feu…
Ce n’est pas faire hommage aux femmes noires et racisées en général que d’utiliser leurs corps tout en dépolitisant la question de leur représentation dans des espaces comme le Hellfest ou les rues de Toulouse. C’est exploiter des identités sans les diffuser ni les considérer et pire : capitaliser dessus.
[2]
Néanmoins certains se sont bel et bien indignés de la venue de Lilith : le diocèse de Toulouse via Monseigneur Guy de Kerimel7. Mais si la communauté chrétienne est inquiète, ce n’est pas la montée de la stigmatisation des personnes racisées, non. C’est pour la venue des forces du mal sur leurs terres. Eux ont compris qu’il faut d’abord s’occuper des White Walkers. Le diocèse offrira d’ailleurs un rituel de protection le 16 octobre pour contrer cette effusion d’ésotérisme8. Par contre, on attend toujours la date de l’indignation des féministes blanches pour l’offense misogyne et culturelle. En matière de représentation raciste du Malin, la communauté catholique sait de quoi elle parle. L’art sacré, du Moyen-Age jusqu’au cœur de la Renaissance, représentait les figures démoniaques, zoomorphes ou anthropomorphes, sous les traits de personnes non blanches9. Des hommes noirs figurant des démons, vous ouvrez un tabernacle y’en a 10 qui tombent.
Se rêvant Docteur Frankenstein, François Delarozières réussit surtout à donner vie à la blanchité, qui n’avait pourtant pas besoin d’être stimulée. La plus sexualisée de ses créations est une femme noire animalisée, imaginée pour un lieu où personne n’en sera offensé. Une machine inanimée, bien qu’articulée, qui n’exprime pas sa désapprobation. Nous, si.
EDIT : Merci à Bagarre Toulouse pour la présence essentielle sur le terrain et le relais de notre article.